Raphaëlle Emery
- plumeartist
- 4 avr.
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Rencontre avec Raphaëlle Emery, une street artiste inspirée par l'univers du manga pour créer des personnages féminins hauts en couleurs.

Quel est ton parcours professionnel ?
J'ai commencé ma carrière en tant que styliste-modéliste, avec un diplôme dans le domaine de la mode. J'ai travaillé pendant de nombreuses années dans ce secteur, occupant divers postes comme styliste, acheteuse, et même directrice de collection. Cependant, avant le confinement, j'ai progressivement délaissé ces activités pour me consacrer pleinement à l'art, qui a toujours été une passion pour moi. Aujourd'hui, je suis artiste-peintre et street-artiste à temps plein.

Pourquoi as-tu choisi de ne pas utiliser de pseudo ?
C’est une très bonne question ! J'ai commencé ma carrière artistique par un travail d'atelier, où l'utilisation d'un pseudo n'était pas nécessaire. Ce n’est que plus tard que j’ai posé des œuvres dans la rue. Mettre son travail dans la rue, c’est quand même particulier, je crois qu’il faut avoir atteint un certain stade de maturité artistique.
Mais comme j’avais commencé à travailler sous mon propre nom, j’ai voulu le garder. D’autant qu’il me tenait à cœur d’en faire un à mon père, qui m'a tant inspirée et soutenue dans cette voie. C'était important pour moi de conserver cette identité.
Comment distingues-tu ton travail d'artiste et de street artiste ?
Aujourd'hui, je ne fais plus vraiment de distinction entre mon travail d'artiste et de street artiste. Les deux activités sont intimement liées. Je travaille aussi bien dans la rue que dans des galeries, et je m'investis pleinement dans le milieu urbain. Mon nom d'artiste est le même pour les deux aspects de mon travail, et je ne ressens plus le besoin de les séparer.
Ce que j’apprécie dans le travail d’atelier, c’est la variété des supports possibles. Je travaille finalement peu sur des toiles ... je récupère beaucoup de matériaux différents, que j’exploite au maximum. Ce côté récupération, c’est intéressant.

Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans le street art ?
Mon intérêt pour le street art est né de mon admiration pour de nombreux artistes urbains et de mon désir de rendre mon travail visible d'une manière différente. J'avais envie que mes œuvres soient accessibles à un large public, et le street art offrait cette opportunité. C'était aussi une manière de m'affranchir des contraintes de l'atelier et d'explorer de nouvelles formes d'expression artistique.
J’ai plusieurs façons d’investir la rue, que ce soit en peignant directement ou en collant. J’aime bien aussi poser des stickers, c’est rapide et efficace.
J’anticipe la question, mais je n’ai aucun problème avec l’éphémère du street art, cela fait partie du jeu. Et même lorsque des gens emportent des pièces posées dans la rue, ça me fait plaisir. Le street art, c’est avant tout du partage.

Comment décrirais-tu l'évolution de ton style artistique ?
Clairement, mon style artistique a évolué au fil du temps, mais il est resté centré sur la représentation de personnages féminins. Si je montrais mes dessins du début, on reconnaitrait le style, on avait déjà de grands yeux, des silhouettes de femme élancées. Evidemment, c’est un style qui est très inspiré par les dessins de mode que je faisais lorsque je concevais des collections.
J'ai toujours dessiné des femmes, et ce choix est lié à mon inspiration personnelle et à mon désir d'exprimer des émotions et des messages à travers ces figures. Les traits de mes personnages, notamment les grands yeux et les tatouages, sont aussi influencés par la culture manga et mon amour pour l'art japonais.
Pourquoi choisis-tu de représenter principalement des personnages féminins ?
Je dessine principalement des personnages féminins parce que c'est ce qui m'inspire le plus. Ces figures me permettent d'exprimer des émotions, des messages et des sensations de manière très personnelle. Elles ne sont pas des représentations de moi-même, mais des avatars que j'ai créés pour incarner différentes situations et émotions. Les tatouages sur mes personnages ajoutent une dimension narrative et esthétique. Encore une fois, un bon nombre est inspiré du manga et de l’art asiatique. Les spectateurs sont libres d’y voir des messages, d’interpréter. Les tatouages, en plus d’être esthétiques, permettent d’ajouter un niveau de lecture supplémentaire à mes oeuvres.
Mais si les gens voient des choses, c’est leur propre interprétation. Moi, j’ai souvent l’impression de dessiner avant tout pour moi, pour exprimer ce que j’ai au fond de moi.

Quelles sont tes principales influences artistiques ?
Mes influences artistiques sont variées et incluent des peintres comme Hokusai, dont j'admire la recherche du trait juste. Pour moi, c’est le maître incontesté ! Je citerai aussi Toulouse-Lautrec, pour son expression narrative. Chez ces deux artistes, il y a une qualité du trait qui m’inspire beaucoup. Dans mon travail, j’essaie d’avoir un trait parfait dans mes dessins. C’est peut-être d’ailleurs pour ça que je répète le même motif de femme ... ce n’est pas que je ne sais pas quoi faire d’autre, mais c’est une recherche du trait parfait !
Je suis également très inspirée par des photographes comme David LaChapelle ou Pierre et Gilles, qui utilisent des couleurs vives et saturées.
Mon travail est aussi influencé par mon passé dans la mode, où j'ai développé un œil pour les couleurs et les nuances. Enfin, la culture manga et les artistes japonais ont une place importante dans mon inspiration.
Comment intègres-tu les réseaux sociaux dans ta pratique artistique ?
Les réseaux sociaux, notamment Instagram, jouent un rôle crucial dans ma pratique artistique. Je considère que les réseaux sociaux font partie intégrante de mon travail artistique, et je les utilise activement pour promouvoir mes créations et interagir avec ma communauté.
Ils me permettent de communiquer directement avec mon audience, de partager mes œuvres et de recevoir des retours immédiats, sans intermédiaire. C'est un outil de travail essentiel pour moi, car il facilite la visibilité et les opportunités de collaboration.
Quels défis rencontres-tu en tant qu’artiste femme ?
En tant qu'artiste femme, je suis confrontée à plusieurs défis, notamment la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, qui peut être plus complexe pour les femmes. Par exemple, je trouve que c’est plus difficile d’aller peindre ou coller seule la nuit en tant que femme. Il faut se lever très tôt ou sortir très tard, et ce n’est pas très sécurisant d’être seule la nuit. Ou alors il faut y aller à plusieurs. Le problème, c’est qu’ensuite il faut être debout pour les enfants ... bref, on est vite claqué et c’est une journée de boulot perdue. Donc maintenant je sors en journée pour peindre dehors.
Un autre défi, c’est la perception réductrice de mon travail. Il est souvent qualifié de “féminin”, avec une connotation dévalorisante, un peu hautaine.
Et puis le milieu du street art reste un milieu très majoritairement masculin, dont l’accès peut être parfois difficile. Lors d’un festival récemment, sur 36 artistes, il n’y avait q’une seule femme ! C’est pour surmonter ces obstacles que Demoiselle MM a récemment lancé le groupe Bombasphères, qui réunit plein d’artistes et street artistes femmes. C’est important de se soutenir mutuellement et de rendre notre travail plus visible.

Comment envisages-tu l'avenir de ta carrière artistique ?
Il y a plusieurs choses qui me motivent et bien sûr je ne peux pas encore tout dire ... mais à l'avenir, j'aimerais explorer davantage les collaborations avec d'autres artistes, car cela enrichit mon univers créatif et me permet d'apprendre de nouvelles techniques.
J’ai aussi en tête d’exposer plus à l'étranger, notamment en Asie, une région que j’adore et dont la culture locale m’inspire beaucoup. J’y ai d’ailleurs vécu à un moment de ma vie. Je suis très mangas, et d’ailleurs on me dit souvent que mes personnages ressemblent à des personnages de manga !
En fait, je cherche à évoluer artistiquement tout en rendant mon travail accessible au plus grand nombre !
Merci Raphaëlle, à travers ton interview on apprend à mieux connaître l'artiste et la femme ! Et comme dans tes œuvres, tes réponses montrent ton authenticité et ta générosité pour rendre ton art accessible à tous !