On part à la découverte de Saveur Graffik, un artiste graffiti passé depuis quelques années au fish art.
Tu te présentes sous le nom de Saveur Graffik, peux-tu expliquer d’où ça vient ?
Saveur Graffik, c’est un pseudonyme, mais c’est aussi un concept ! Ce concept, je l’ai lancé en 2009 et il est aujourd’hui associé à deux phrases clés : #onsenfishpas et #cestpasdustreetartcestdufishart, J’avais déjà fait mes armes dans le milieu du graffiti avec 10 ans de pratique sous le blaze de BRIKE NTC, mais aujourd’hui, dans la rue, je ne fais que du fish art.
Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
J’ai commencé il y a longtemps le graffiti, dans les années 90 en région parisienne, à l'époque du développement du Hip Hop où cette nouvelle pratique des cultures urbaines a émergé. Ce qui a contribué à ce qu’est aujourd’hui le street art ou l’art urbain.
Ensuite j’ai déménagé en Bretagne dans les années 2000, où j’ai exercé une activité de muraliste à la bombe. Le terme n’existait pas à l’époque. Je faisais des décors, des fresques, je travaillais avec les collectivités. Ce métier n’etait pas encore installé dans des pratiques professionnelles et professionnalisantes. De vrais autodidactes passionnés.
Je suis enfin arrivé à Lyon vers 2016, j’ai arrêté la peinture décorative et j’ai passé les concours pour devenir professeur d’arts appliqués. Aujourd’hui, je suis en poste mais je continue à m’exprimer dans la rue avec mon concept de fish art. Ça va paraître surprenant pour beaucoup dans le monde de l’art, mais j’interviens maintenant dans la rue de façon complètement désintéressée, je le fais uniquement par passion. À la limite, je ne signe même pas, je ne cherche pas à mettre des QR codes, des liens internets comme la nouvelle génération, je ne suis pas dans une démarche de marketing. La rue, c’est réellement mon espace d’expression, je ne l’utilise pas comme une galerie, ou comme un agent développeur d’une future et hypothetique carrière mais pour le plaisir d’offrir un art populaire, accesible et gratuit.
Mon expression artistique actuelle est nourrie de toutes ces expériences, de ce parcours, de 30 ans à expérimenter la bombe et je continue à me nourrir de ce qui fait le street art aujourd’hui. Cette nouvelle génération d’après-confinement qui commence, elle ne se pose pas de question, elle se libère des contraintes, des genres, des techniques et des styles et l’expression dans la rue s’autorise tout type d’expression par rapport à mes débuts. J’en profite pour faire de même ! La plupart du temps, je ne demande pas la permission pour peindre, je le fais c’est tout.
C’est quoi le fish art ?
Comme le nom l’indique, c’est une pratique qui met le poisson au centre de l'œuvre, qui le prend pour modèle, etc. Ma thématique, c’est de traiter uniquement les fonds subaquatiques. En 2011, j’ai voyagé dans les Hamptons dans l’état de New York, et j’y ai découvert le fish art américain, ça a été une révélation ... ils avaient des poissons et des homards représentés partout là-bas, alors qu'en France c’était (et c’est encore) très méconnu ! Habitant en Bretagne à l’époque, j’ai digéré ce que j’avais vu et je l’ai intégré à ma pratique artistique.
Quand je dis “c’est pas du street art, c’est du fish art”, je laisse aussi entendre que le fish art est une composante du street art, Le fish art, c’est pour moi un sujet d’études, un thème que j’exploite à l’infini.
Il faut savoir qu’aux États-Unis, le poisson est un thème courant, il y a des véritables passionnés de la pêche par exemple. En France, en revanche, peu de personnes sont sensibles à cette représentation artistique du monde aquatique.
Ce n’est pas un sujet un peu limité ?
Pas du tout ! En tout cas, pas pour moi, je m’affirme avec des dessins de poissons. Je travaille avec des séries de personnages, comme des “urban fish”, des “sirènes urbaines”, des décors sous-marins ... et puis je les décline sur toutes sortes de supports. C’est un catalogue graphique et pictural que je ne me lasse pas de représenter sur les murs de la ville
Est-ce que tu souhaites véhiculer des messages écologiques ?
Non, je ne suis pas plus écolo que ça. En tout cas, je ne me décris pas comme ça, mais j’ai intégré les enjeux de défense de l’environnement à travers mon parcours de vie. J’ai grandi au bord de l’eau, à la Martinique, et j’ai vécu en Bretagne proche de l’océan, et c’est quelque chose qui m’a marqué à vie. Les couleurs, le contact avec la nature, la découverte du mouvement culturel Tropicalisme m’ont appris à regarder, à aimer et à vouloir protéger la vie subaquatique. J’imagine que cela se sent dans mes œuvres, mais je ne cherche pas à transmettre un message purement écolo, même si c’est une prise de conscience globale des artistes en ce moment. Les gens voient ces messages, ses symboles narratifs dans la rue ou sur les réseaux, je ne le fais pas par opportunisme, mais c’est vrai que la mer ne va pas fort en ce moment.
Peux-tu nous partager ton process de création ?
Je me suis constitué un imaginaire autour du fish art, avec des sirènes, des poissons, etc, autant d’éléments qui me viennent de mon imaginaire poétique et de mes voyages. En général dans mes compositions, je commence à poser le socle du dessin, avec le sable, en bas, qui rassure. J’y pose ensuite le personnage principal, que je dessine au fil de mon inspiration. Je finis en ajoutant les éléments de décor autour. Il n’y a pas de calcul, je fais ce que j’ai dans la tête. Ce que j’ai en moi, je le livre dans mes dessins.
Par exemple, j’ai fait un voyage en Inde cet été. Là-bas, un des emblèmes nationaux, c’est le paon. Oiseau omniprésent dans la tradition et la culture indienne. Dans l'aéroport, je dessinais dans mon blackbook un personnage et j’y ai intégré cet animal que j’avais vu partout sur place. Les gens qui m’observaient dessiner étaient contents, ça leur parlait.
Je me rends compte aussi que ce n’est pas un hasard si je travaille en noir et blanc avec des fonds obscurs. Pour moi c’est la couleur noir pétrole. Sombre et pollué comme les abysses d’un océan en soufrance. On me dit aussi que certains de mes personnages font la tête. Mes potes me charient en me disant que je dessine des dépréssifs. Mais je réponds que c’est normal, vu l’état de la mer aujourd’hui, il y a de quoi ! Voilà, mon travail est spontané et me ressemble, comme si c’était mon inconscient qui parlait.
D’ailleurs, j’ai peu de personnages masculins, mais j’en ai un qui me ressemble pas mal. Il est chauve, comme moi, il porte des marinières, ce qui m’arrive souvent aussi. C’est un visuel assez autobiographique en fait. Un autre détail : il porte un masque de poisson. Ça veut bien dire que je me livre dans mes dessins, c’est comme si je me mettais derrière ce masque de poisson, qui me procure une nouvelle identité. Saveur Graffik, ce concept, c’est moi !
L’expression d’un inconscient, d’un subconscient, est-ce que ce n’est pas ça qui définit une véritable expression artistique ? C’est ce que je pense en tout cas.
Quelle différence fais-tu entre graffiti, street art et art urbain ?
Je reprends une définition qui n’est pas forcément la mienne, mais dans laquelle je me reconnais. Le graffiti, c’est du lettrage, le travail de la lettre, qui est réalisé de façon illégale avec tout type de matériel qui te tombe sous la main sur tout type de support.
Avec le street art, on entre dans l’univers de l’expression artistique dans la rue, qui ne concerne pas uniquement le travail de la lettre.
Enfin, l’art urbain est un ensemble beaucoup plus vaste de pratiques, plus ouvertes, plus conscientes de l’espace public. Alors que les graffeurs prennent poscession de la rue en toute liberté par-dessus toute contrainte, les artistes urbains assument leur statut et semblent vouloir participer collégialement au bien-être et bien vivre urbains
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