Discussion avec la street artiste Marquise : nous avons parlé engagement social, démarche artistique et interprétation d'œuvres.
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(c) Marquise
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis street artiste, je travaille la majorité du temps dans la rue de manière illégale, gratuite et éphémère.
C’est ta définition du street art ?
En tout cas pour moi, une œuvre doit réunir ces trois éléments pour être considérée comme du street art, mais il y a autant de définitions que d’artistes !
Le côté illégal t’attire en particulier ?
Pas tellement, ce n’est pas l’aspect qui me botte le plus. Le côté illégal fait que l'on a peu de temps pour travailler sur les murs ce qui est peut être vécu comme quelque chose de limitant voire de frustrant.
Par ailleurs, une culture du street art a commencé à s’installer en France et à Paris notamment. Il y a une plus grande tolérance vis-à-vis des street artistes qu’à une époque. Aujourd’hui, le public est en grande majorité tolérant des œuvres en cours de création sur les murs.
Les street artistes jouissent globalement d'une meilleure image en France que dans d'autres pays comme par exemple en Corée du sud où ils sont très durement réprimés et doivent donc être particulièrement vigilants et rapides lorsqu'ils habillent les murs.
C’est vrai qu’il y a une certaine tolérance à Paris, mais cela dépend aussi beaucoup des arrondissements !
Oui ! D’ailleurs je me rends compte que j’ai collé dans tous les arrondissements, sauf dans le XVème et XVIème ...
Comment tu choisis les endroits pour tes collages ?
Quand j'ai commencé à coller, j'avais choisi mon mur au préalable, je savais exactement ce que j'allais coller et où. La notion d'anticipation était très présente.
Maintenant mon travail a un peu évolué, notamment parce que je colle de plus en plus avec d’autres personnes. Donc je pars avec des visuels, ma colle et mon pinceau et on marche pendant des heures avant de trouver un endroit qui nous plait.
Lorsqu’on a trouvé un mur qui nous plait, on s’arrête pour travailler. Je laisse de plus en plus sa place à l’improvisation. J’arrive sur le mur et j’invente quelque chose que je n’aurais pas fait à la maison. J’ai bien quelques visuels en tête, mais je les intègre dans l’espace urbain de façon très spontanée, et le mur devient un élément à part entière de la composition.
Cela fait presque trois ans que tu as commencé à coller dans la rue, comment t’est venue cette envie ou ce besoin de montrer tes œuvres dans la rue ?
J’ai commencé le collage à l’âge de 10 ans, ça a toujours été mon mode d’expression.
À la suite d’un événement personnel, j’ai eu envie de faire du street art, parce que j’avais envie de communiquer des choses, et puis c’est une démarche en continuité de ma vie personnelle. J’ai été militante, et de façon générale, je suis une personne assez engagée, donc le collage dans la rue donne une autre dimension à mon engagement personnel.
Le street art, c’est le reflet de ce que je suis et de ce à quoi j’aspire, à la fois pour moi et pour la société en général : plus d’échanges, de rencontres ... surtout dans des temps comme ceux qu’on traverse !
Tu as un univers bien particulier, avec des collages d’inspiration surréaliste, on a parfois l’impression d’être comme dans un rêve ... et les rêves ça s’interprète non ?
Oui ! J’essaie de construire un univers onirique, qui permette aux gens de se projeter dans l’œuvre et d’en tirer leurs propres interprétations.
Si tu observes bien mes pièces, elles contiennent des personnages de dos ou de 3/4 dos, pour aider le spectateur à se projeter et à s’identifier. Cela leur donne une identité plus fluide, qui laisse une grande part à l’imaginaire.
Quand je te montre une image, je veux que tu te plonges dans ton propre imaginaire, comme une invitation au voyage.
J’ai parlé de mon engagement, mais l’engagement n’a pas à être violent forcément ; l’engagement peut passer par quelque chose de doux, en proposant plutôt qu’en imposant des messages.
Tu peux choisir le message que tu vois, tu peux te laisser embarquer dans ton interprétation et ton imaginaire. C’est quand différentes visions se confrontent que naît le dialogue entre les gens.
Je trouve qu’il y a (indépendamment de la situation actuelle) beaucoup de distance entre les gens, l’art peut être un vecteur d’échange, sans démesure.
Voilà ce que je cherche à créer, ce rassemblement, cette fédération positive, cette tolérance mutuelle.
C’est pour laisser la place à l’imaginaire que tu n’inclus pas de texte à tes images ?
J’y réfléchissais justement. J’écrivais beaucoup avant. Les mots me sont très chers, ils ont une esthétique à part entière.
Si je le faisais, il faudrait réfléchir à un moyen pour que les gens aient le temps, s’ils le souhaitent, de d’abord forger leur propre interprétation. Je trouve que donner soi-même le sens et des explications sur son œuvre fait perdre au spectateur sa liberté de se renseigner, ou pas, sur ce qu’il est en train de voir, et dans la réception de l'œuvre en tant que telle.
C’est le sens que je donne à mon travail dans la rue, mais le travail que j’expose, c’est différent. J'ai réalisé pour une expo collective une réécriture de l'histoire d'Adam et Eve que j'ai pour l'occasion explicitée car le cadre s'y prêtait et j'ai pensé que cela intéresserait davantage les spectateurs.
Depuis que tu as commencé à créer, sens-tu une évolution de ton style, des thèmes que tu exploites, en fait est-ce que tu as eu des périodes artistiques ?
J’ai pas mal évolué sur l’organisation de mes sorties dans la rue.
Je suis aujourd'hui beaucoup dans l'impro; depuis le 1er confinement en mars 2020, mes mises en scène sont moins politiques et davantage poétiques.
J’essaie d’intégrer de la tropicalité dans le paysage urbain, des animaux et des plantes sur de beaux murs. On ne peut pas voyager, donc j’essaie de permettre aux gens de faire un voyage dans leur imaginaire et de profiter de leur vie intérieure !
Tu acceptes facilement le côté éphémère de ton travail dans la rue ?
Je l’accepte assez facilement parce que je garde une trace de ce que je fais.
De toute façon, avant de commencer à coller dans la rue, il faut absolument réfléchir à cet aspect éphémère et mettre son ego de côté. Ce qui arrive à l'œuvre, qu’elle soit déchirée, recouverte ou autre, ce n’est pas personnel contre toi, il faut l’accepter.
Mais parfois la dégradation peut aussi être aussi intéressante, le temps laisse des traces, comme sur l’humain. Que la pièce finisse par disparaître, c’est la vie.
Tu côtoies beaucoup d'autres artistes ?
Comme je suis curieuse des autres artistes et de leur travail, j'ai la chance d'avoir pu échanger et travailler avec certains d'entre eux oui. A Paris les artistes urbains sont très nombreux et leurs techniques très variées; pouvoir en côtoyer certains et certaines est source d'enrichissement pour chacun et chacune.
La grande majorité des artistes que je côtoie collent ou travaillent au Posca ; les graffeurs, par exemple, c’est une autre démarche, ils risquent plus gros s’ils se font prendre. Donc la plupart d'entre eux se montrent moins et ne fréquentent pas forcément les mêmes lieux.
Je trouve qu’il y a deux courants à ce niveau-là, avec des règles tacites et un respect mutuel. Dans le street art, il y a plein de techniques différentes, et qui montrent la pluralité des techniques et des courants artistiques et c’est tant mieux !
Tu as une ambition particulière à terme ?
Je n'ai pas d'ambition précise et définie; je suis mon instinct. C'est ma manière à moi d'habiter au mieux ma liberté. Je n'ai pas envie de me faire un plan de vie et notamment dans le street art ; je fais les choses qui m'habitent et me portent au quotidien. Travailler dans la rue est, pour moi, avant tout une aventure humaine et une formidable occasion d'échanger.
Quels sont tes projets pour les prochains mois ?
J'ai de nombreux projets en cours : des collaborations en préparation, un festival qui après avoir été reporté pour cause de COVID devrait se tenir en 2021 et quelques surprises dont je parlerai plus tard ;)
(c) Marquise
Marquise à la loupe :
L’artiste vivant qui t’inspire le plus ?
Mon travail est plus une résultante de tout ce que j’ai emmagasiné au fil des années (dans le cinéma, les arts graphiques, la musique, etc), donc ce serait un peu difficile à dire.
L'œuvre dont tu es la plus fière ?
C’est une œuvre en langue des signes française, que j’ai faite en 2019.
C'est parce qu'une personne de mon entourage proche est atteinte de ce handicap que j'ai eu envie d'en savoir plus sur la culture sourde mais aussi de comprendre ce que cela voulait dire au quotidien de ne pas ou de moins bien entendre. Apprendre la Langue des Signes Française a fait partie de ce processus.
Afin de sensibiliser le plus grand nombre à ce handicap qui touche près de 10% de la population française, j'ai eu envie de créer une œuvre dans laquelle un personnage signerait le mot "diversité" en LSF.
Le meilleur moment de la journée pour créer ?
Un peu n’importe quand à vrai dire, mais j’aime beaucoup la nuit, c’est plus intimiste.
(c) Marquise
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